Raouf Karray le peintre troubadour 2
La peinture de Raouf Karray est un tout où le trait et la couleur comptent autant que la toile que le peintre tisse lui-même dans un papier qu'il travaille méticuleusement, obstinément et inlassablement, pendant des heures, de longues heures, jusqu'à lui donner cette texture filandreuse des papyrus d'autrefois. L'artiste est aussi un artisan à l'image du père artisan ébéniste et de la mère brodeuse.
Les tableaux de Raouf Karray, de terre et de feu, nous ouvrent les portes des cités de sables de jadis et des médinas de naguère. Evoquant pêle-mêle, tapis, nattes, encriers et planchettes des médersas d'autrefois . L'œil subjugué inspire à l'odorat les senteurs des souks de Kairouan, de Cordoue, de Marrakech, de Damas ou de Bagdad au temps des caravansérails. Il est vrai que Raouf est un troubadour qui a connu l'errance à vingt ans, avec pour seul viatique le rêve. Après cinq années de pérégrinations à travers l'Orient et l'Occident; l'artiste choisit Rome pour une halte de six années qui laissera des traces indélébiles. L'émotion chez Raouf est assurément italienne. Il l'exprime dans la joie et dans la colère. Il surprend quelquefois son interlocuteur par une phrase qui lui échappe ou des mots irrépressibles qui fusent dans la langue de Dante. L'Italie habite l'artiste jusqu'au mal être, autant que la peinture. C'est le pays de ses engagements les plus fous, de ses passions, de ses amitiés qui durent toujours. Quand il cesse de se souvenir de ces années ineffables, Raouf peint .Il peint l'autre partie de lui-même, l'originelle, celle qui le soude à ce rivage qu'il avait un moment quitté ; et qu'aujourd'hui, il ne cesse de tenter de réhabiter de nouveau.
Trempé dans la souvenance immémoriale, le pinceau se fait calame ; et La plume de roseau crisse sur la planchette passée a l'argile, laissant perler quelques lettres qui suggèrent, sans jamais dire, le verbe fondateur. L'écriture lézarde la peinture. Des mots brisés, formés de lettres puisées au hasard, disent la fêlure.
Soudain, le tableau se fait amulette ponctuée de losanges tutélaires et de polygones étoilés. Comment occulter un passé si présent quand on a grandi au son des psalmodies des versets coraniques et entre les écrits prophylactiques? Raouf Karray est le descendant d'un prestigieux lignage dont l'ancêtre éponyme mort en odeur de sainteté, est aujourd'hui encore l'objet d'un grand respect dans sa ville à Sfax.
A cinquante ans le regard que porte Raouf sur la femme est irrémédiablement celui de l'enfant qu'il est resté. Les corps sans visage et sans proportions des femmes qui peuplent la plupart de ses toiles sont à l'échelle du regard de l'enfant qui quelquefois les côtoie. Nues, les femmes de Raouf ne suscitent ni désir ni réprobation. Elles ressemblent à des mères surprises dans leurs toilettes ou dans leur sommeil. Hanté, sans doute, par le hammam de son enfance, Raouf est demeuré, à jamais fasciné et interloqué par le déluge des sexes béants. des seins lourds et des corps disproportionnés et vautrés. Souvent le rouge flamme dévore les toiles de Raouf Karray pour ensuite se décliner en milles nuances. Du carminé à l'ocreux, du safrané à l'ambré, de l'orangé au bilieux, la toile se confond avec la paume de la main ou la plante du pied d'une jeune femme parée au henné. Raouf Karray est à coup sûr un peintre, un grand peintre.
Abderrahméne MOUSSAOUI
DEVINETTES DE TUNISIE, de Raouf Karray
Un modèle de livre bilingue, qui respecte, comme naguère le si beau Carnet du dessinateur de Mohieddine Ellabbad (Mango, 1999), la lecture occidentale comme celle de l'arabe littéraire, selon qu'on circule de gauche à droite ou de droite à gauche. Le peintre Raouf Karray offre un délicieux florilège de treize devinettes traditionnelles, d'une poésie simple ("Des feux de l'enfer, on retire un trésor. En dedans, de l'argent. En dehors, de l'or"... c'est le pain), qu'il sert avec une grâce naïve et une chaleur contagieuse. Pour réconcilier la force de l'oralité et la magie du signe (éd. Grandir - BP 105 84103 Orange Cedex -, 60 p., 18,29 € -120 F-). A partir de 6 ans.
Le MONDE
La peinture de Raouf Karray est un tout où le trait et la couleur comptent autant que la toile que le peintre tisse lui-même dans un papier qu'il travaille méticuleusement, obstinément et inlassablement, pendant des heures, de longues heures, jusqu'à lui donner cette texture filandreuse des papyrus d'autrefois. L'artiste est aussi un artisan à l'image du père artisan ébéniste et de la mère brodeuse.
Les tableaux de Raouf Karray, de terre et de feu, nous ouvrent les portes des cités de sables de jadis et des médinas de naguère. Evoquant pêle-mêle, tapis, nattes, encriers et planchettes des médersas d'autrefois . L'œil subjugué inspire à l'odorat les senteurs des souks de Kairouan, de Cordoue, de Marrakech, de Damas ou de Bagdad au temps des caravansérails. Il est vrai que Raouf est un troubadour qui a connu l'errance à vingt ans, avec pour seul viatique le rêve. Après cinq années de pérégrinations à travers l'Orient et l'Occident; l'artiste choisit Rome pour une halte de six années qui laissera des traces indélébiles. L'émotion chez Raouf est assurément italienne. Il l'exprime dans la joie et dans la colère. Il surprend quelquefois son interlocuteur par une phrase qui lui échappe ou des mots irrépressibles qui fusent dans la langue de Dante. L'Italie habite l'artiste jusqu'au mal être, autant que la peinture. C'est le pays de ses engagements les plus fous, de ses passions, de ses amitiés qui durent toujours. Quand il cesse de se souvenir de ces années ineffables, Raouf peint .Il peint l'autre partie de lui-même, l'originelle, celle qui le soude à ce rivage qu'il avait un moment quitté ; et qu'aujourd'hui, il ne cesse de tenter de réhabiter de nouveau.
Trempé dans la souvenance immémoriale, le pinceau se fait calame ; et La plume de roseau crisse sur la planchette passée a l'argile, laissant perler quelques lettres qui suggèrent, sans jamais dire, le verbe fondateur. L'écriture lézarde la peinture. Des mots brisés, formés de lettres puisées au hasard, disent la fêlure.
Soudain, le tableau se fait amulette ponctuée de losanges tutélaires et de polygones étoilés. Comment occulter un passé si présent quand on a grandi au son des psalmodies des versets coraniques et entre les écrits prophylactiques? Raouf Karray est le descendant d'un prestigieux lignage dont l'ancêtre éponyme mort en odeur de sainteté, est aujourd'hui encore l'objet d'un grand respect dans sa ville à Sfax.
A cinquante ans le regard que porte Raouf sur la femme est irrémédiablement celui de l'enfant qu'il est resté. Les corps sans visage et sans proportions des femmes qui peuplent la plupart de ses toiles sont à l'échelle du regard de l'enfant qui quelquefois les côtoie. Nues, les femmes de Raouf ne suscitent ni désir ni réprobation. Elles ressemblent à des mères surprises dans leurs toilettes ou dans leur sommeil. Hanté, sans doute, par le hammam de son enfance, Raouf est demeuré, à jamais fasciné et interloqué par le déluge des sexes béants. des seins lourds et des corps disproportionnés et vautrés. Souvent le rouge flamme dévore les toiles de Raouf Karray pour ensuite se décliner en milles nuances. Du carminé à l'ocreux, du safrané à l'ambré, de l'orangé au bilieux, la toile se confond avec la paume de la main ou la plante du pied d'une jeune femme parée au henné. Raouf Karray est à coup sûr un peintre, un grand peintre.
Abderrahméne MOUSSAOUI
DEVINETTES DE TUNISIE, de Raouf Karray
Un modèle de livre bilingue, qui respecte, comme naguère le si beau Carnet du dessinateur de Mohieddine Ellabbad (Mango, 1999), la lecture occidentale comme celle de l'arabe littéraire, selon qu'on circule de gauche à droite ou de droite à gauche. Le peintre Raouf Karray offre un délicieux florilège de treize devinettes traditionnelles, d'une poésie simple ("Des feux de l'enfer, on retire un trésor. En dedans, de l'argent. En dehors, de l'or"... c'est le pain), qu'il sert avec une grâce naïve et une chaleur contagieuse. Pour réconcilier la force de l'oralité et la magie du signe (éd. Grandir - BP 105 84103 Orange Cedex -, 60 p., 18,29 € -120 F-). A partir de 6 ans.
Le MONDE